Cocaïne, Heroïne, Ecstasy...

J’ai mal au cœur…

Il pleuvait, comme le tout premier jour où tout cela avait commencé. Il n’attendait personne. Il cherchait de nouvelles victimes, de nouvelles âmes en peine ou jeunes à la recherche de sensations fortes. Savaient-ils seulement qui ils étaient ? La pluie faisait fuir les gens « normaux » et attiraient comme des mouches les déprimés qui sortaient pour méditer sur leur horrible sort. Savaient-ils seulement ce que lui vivait ?
Parfois, il se disait que ce jour allait changer quelque chose, qu’il allait être décisif et que sa bonne étoile allait revenir pour l’emmener ailleurs, vers un autre genre de paradis…
Il sentait dans ses poches le poids de la cam, de l’héroïne et de la cocaïne en grande majorité. Un peu de LSD et une quinzaine de cachets d’ecstasie. Il y avait en fait dans ses poches assez de drogues pour tuer dix filles frêles qui ne savaient pas dans quoi elles étaient tombées. Tout comme sa princesse. Il revit son corps pendant un quart de seconde.
Il avait un peu froid mais son manteau le gardait bien au chaud. Cela faisait déjà six mois qu’il traînait près de Pudget School. Jamy lui avait refilé le tuyau, il aurait beaucoup de clients là bas avec tous les jeunes délinquants qui y étaient « enfermés ». Lui, il avait trouvé refuge dans un bar glauque non loin des ruelles les plus male famées de Boston. Les jeunes le connaissaient bien, pour la plupart, il était l’unique fournisseur. Ses prix battaient la concurrence, si on pouvait appeler ça de la concurrence, et il avait, par le bouche à oreille, conquis l’univers malsain de « Back Of Pudget ».

Ce jour là, il s’était levé tard, vers quatorze heures. Il n’avait rien avalé, la faim n’était, depuis bien longtemps, plus qu’un souvenir. Certaines choses font perdre l’appétit, on se nourrit par nécessité. Il rabattit sa capuche sur sa tête pour ne pas sentir le vent glacé qui cinglait contre ses joues.
C’était la rentrée à Pudget, des petits nouveaux en pagaille, des jeunes drogués auxquels on avait tout enlevé qui ne rêvaient que d’une chose : lui. Il se sentait comme le sauveteur des âmes perdues. Dans la rue, il était Ezéchiel, le déjanté qui vendait du rêve. Dans sa tête il était Ezéchiel, l’ordure qui dealait du cauchemar. Dans son cœur, il était Azile, le paumé drogué sans l’être d’un monde qui n’existe que dans les polars. Mais il avait mal au cœur, et si Azile disparaissait ? Si le peu de réalité et de conscience qu’il y avait en lui se retirait avec ses dix-sept ans ?
C’était tellement ridicule les Etats Unis. Il n’avait pas le droit de rentrer dans un bar pour boire de l’alcool, mais personne ne se souciait de le voir vendre de la drogue à un si jeune âge. Il avait vu les yeux des vieilles ménagères qui baissaient les yeux. « Le pauvre garçon » murmuraient-elles à leurs amies. Mais qui allait le sortir de là le pauvre garçon hein ?! Qui allait le prendre par la main, lui taper sur les doigts en lui disant d’arrêter ses conneries ?! QUI ?!
Ezéchiel serra les points pour ne pas hurler et s’effondrer en pleurant. Ca faisait bien longtemps qu’il n’avait pas pleuré…

De courtes silhouette passaient dans la brume et la pluie, rejoignant en courant des endroits plus fréquentables. La plupart du temps il croisait des jeunes, des abrutis qui retournaient se mettre au chaud dans les jupons de leur mère. Lui qui en était sorti à quatorze ans… Tout ça le faisait doucement rire.

Putain…

Il n’y avait donc personne aujourd’hui ? Pas de psychopathe ? Pas de violeur ? Pas de gamin qui voulait essayer ? Soudain, une ombre se dirigea vers lui. C’était une fille qui, à vue de nez, devait avoir seize ans. Classique… Elle resserrait sans cesse son grand manteau noir, plus par nervosité qu’autre chose. Elle fonçait, s’arrêtait, hésitait, repartait, plus lentement pour se donner le temps d’essayer. Elle arriva enfin à lui. Il la regarda sans la voir. Elle ne devait pas être habituée, elle le regardait, interloquée…

-Quoi ?

Devant la froideur du jeune homme dans l’ombre, elle reprit des couleurs… Dignité de merde. Elle se redressa et parla comme si c’était tout naturel.

-Je veux de la drogue !

Ezéchiel leva la tête, la lumière pénétrant enfin ses traits. Elle l’analysa, il était drôlement jeune et drôlement mignon pour un dealer. Comme elle n’en avait sans doute jamais vu elle haussa les épaules. C’était tout à fait le genre de réaction auquel il s’attendait. Il prit un air cynique et planta ses yeux corrosif dans le regard vert de la petite.

-Laquelle de drogue ? demanda-t-il d’un ton traînant et quelque peu goguenard, et, comme elle le regardait bizarrement, il continua en levant les yeux au ciel : Cocaïne, Heroïne, LSD, Marijuana, Ecstasie, crack ?

-Je… Vous pouvez me conseiller ?

Ezéchiel fit un geste de la main impatient.

-Tu me fais perdre mon temps… Tu n’as sûrement pas assez d’argent pour la moindre dose…

Elle sortit de son manteau une liasse de billets de cent dollars… Elle devait se prostituer pour gagner de telles sommes d’argent. Ca valait la peine de la rouler dans la farine tout en lui faisant la grâce d’un petit discours sur les bons côtés de la drogue.

J’ai soif…

-Cocaïne, c’est fait à base d’une plante, c’est pour s’évader tranquillement. Ca se sniffe. L’Héroïne se dilue et s’injecte dans les veines, si tu es novice mieux vaut ne pas en prendre, je n’ai pas le temps de t’initier… Je vends à la seringue. LSD et Ecstasie sont sous forme de cachets et s’avale avec de la bière ou même de l’eau. C’est pour les bon trips joyeux qui montent très vite en puissance. Pas plus de deux cachets à la fois pour toi je pense… Marijuana, c’est de l’herbe quoi, ça se fume et ça te rend heureux. Mais j’en ai pas…

Il la regarda, elle semblait boire ses paroles. Il se dit qu’elle assimilerait trop bien les effets secondaires, l’Héroïne qui menait au suicide, l’overdose très facile, les LSD qui donnaient des hallucinations et faisait utiliser son corps au delà de ses capacités, l’Ecstasie… qui rendait complètement dingue et dont on pouvait mourir très vite, les violeurs l’employaient aussi pour rendre leurs victimes hors d’état de se défendre, surtout qu’on ne se souvient que d’une petite partie de la soirée après la prise de ce produit… Elle semblait faire son choix. Elle se décida enfin.

-Cocaïne…

Le jeune homme soupira, classique, elles commençaient toute par la cocaïne. A deux cents dollars les deux grammes il faisait une sacrée affaire. Il sortit un tout petit sachet de son manteau.

-deux cents dollars.

Elle parut complètement hallucinée. Elle regarda la quantité dérisoire et leva les yeux vers lui.

-Il n’y en a pas beaucoup !
-Bien assez, crois moi…

Si elle en prenait tout seule, par rail de un gramme et qu’elle se faisait tout le paquet elle pouvait tomber dans le coma. Surtout si c’était la première fois. Elle se tordit les mains puis finit par lui tendre un billet de cinq cents. Il lui rendit la monnaie en billets de cinquante.

-Tu n’auras qu’à la sniffer avec tes billets…

Il lui fit un clin d’œil pervers et croisa les bras pour s’adosser au mur. Il allait encore attendre un quart d’heure, après il verrait. Mais la fille ne voulait pas partir. Elle lui mit la main sur le bras et il se dégagea aussitôt.

-Pourquoi tu fais ça ?
-Parce que ça me rapporte de la thune…
-Mais, ça peut tuer des gens !
-C’est pas mon problème.
-Je pourrais en crever ?
-Ca m’arrangerait pas.

Il lui fit un geste pressant pour lui dire de disparaître, ce qu’elle fit sur le champ. Finalement, il se rendit compte qu’il en avait marre. Il chercherait sa prochaine clientèle au bar de Tenshi. Il se redressa et se dirigea vers l’« Androgin Moon ». Il regarda le videur et s’annonça. Ce dernier le laissa entrer sans lui causer de problème, il avait tout de même un poignard dans la poche intérieur de son manteau et pratiquement cinq cents grammes de drogues en tout genre mais ça, ce n’était pas non plus son problème à lui.

La lumière mystique et la chaleur palpable de la boisson firent un peu de bien au jeune homme. Il se dit qu’il allait encore devoir payer sa chambre au patron de l’endroit. Il s’avança jusqu’au bar, après avoir réglé ça, il attendrait, une vodka à la main, que les petits jeunes de Pudget viennent se réfugier là. Il regarda la serveuse plutôt provocante.

-Sers moi une vodka et va chercher le patron. Merci